2 personnages sont assis de part et d'autre d’une petite table sur laquelle est posé un téléphone (un vieux téléphone à cadran de préférence). Ils sont immobiles et regardent droit devant eux.
Le téléphone sonne.
P1 et P2 sortent chacun leur téléphone portable de la poche de leur veste. Ils regardent l’écran, se regardent en secouant la tête pour dire “ce n’est pas moi”. Ils remettent leur téléphone dans la poche de leur veste et reprennent leur position initiale.
Le téléphone sonne toujours.
P1 et P2 regardent le téléphone posé sur la table puis se regardent. Après un temps, P1 fait signe de la tête à P2 de décrocher. P2 hausse les épaules en signe de négation.
Même jeu, une seconde fois, avec plus d’insistance.
P1 : Vous ne décrochez pas ?
P2 : (Regarde autour de lui comme si P1 s’adressait à quelqu’un d’autre) Moi ?
Pourquoi ?
P1 : Vous n’entendez pas le téléphone sonner ?
P2 : Si, bien sûr !
P1 : Pourquoi ne décrochez-vous pas alors ?
P2 : Je n’attends aucun appel téléphonique. (Après un temps) Et vous ?
P1 : Moi ? Si !
P2 : Eh bien pourquoi ne décrochez-vous pas alors ?
P1 : Je ne sais pas qui m’appelle.
P2 : Le meilleur moyen de le savoir est de décrocher non ?
P1 : Certes ! Mais si ce n'était pas le coup de fil que j’attendais ?
P2 : Eh bien vous décrochez, vous vous excusez auprès de votre interlocuteur en disant que vous n’attendiez pas son appel et vous raccrochez. L’affaire est terminée.
P1 : Ce n’est pas idiot. (Il s’apprête à décrocher. Le téléphone s’arrête de sonner). Ah ! (Signe d’impuissance). On ne saura jamais si c’était l’appel que j’attendais.
P2 : C’est ballot !
P1 : Ballot en effet.
P2 : Rappelez-le !
P1 : Ou la...
P2 : Houlà-là quoi ?
P1 : Vous avez dit rappelez-”LE”. Moi je dis pourquoi pas “LA” ?
P2 : La ? Comme la note de musique ?
P1 : Non. “La” comme l’article défini introduisant un nom commun qui désigne une personne ou une chose bien déterminée, clairement identifiable, comme l’indique l’Académie française.
P2 : Ah d’accord... mais comment pouvez-vous savoir que c’est une “personne bien déterminée” puisque vous ne savez pas qui vous appelle ?
P1 : (Temps de réflexion). Ah oui ! Vous avez raison.
P2 : (Après un temps) Quoi qu’il en soit, si vous attendiez un appel, vous savez “qui” devait vous appeler.
P1 : Eh bien non ! Figurez-vous que j’ai reçu l’appel, hier, d’une personne qui m’a dit qu’elle m’appellerait aujourd’hui.
P2 : Vous n’avez pas demandé qui était cette personne au moment où elle vous a appelé ?
P1 : J’avoue que non. Ça ne m’est pas venu à l’esprit.
P2 : C’est idiot.
P1 : (Pensif) Idiot oui !
P2 : Et pourquoi ne vous a-t-il ou elle pas dit ce qu’il ou elle avait à vous dire au moment où vous l’aviez au bout du fil ?
P1 : Parce que je ne lui ai pas demandé non plus. C’est idiot ?
P2 : Idiot oui ! J’imagine que vous n’avez pas non plus demandé son numéro... au cas où.
P1 : (Penaud) Non. (Après un temps) Je m’en veux.
P2 : Pourquoi avez-vous décroché la première fois ?
P1 : Pardon ?
P2 : Pourquoi avez-vous décroché la première fois ? Alors que précisément, à cet instant, vous ne saviez pas que quelqu’un devait vous appeler.
P1 : Vous êtes idiot ?
P2 : Pardon ?
P1 : Je vous demande si vous êtes idiot ?
P2 : Je... je ne pense pas non. (Vexé) Du moins, ni plus idiot ni moins idiot que vous. Pourquoi ?
P1 : (Sur un ton méprisant) Vous me demandez pourquoi j’ai répondu à un précédent appel téléphonique hier ne sachant pas que j'allais être appelé, alors que, lorsque le téléphone a sonné aujourd’hui à nouveau je n’ai pas décroché... alors que je m’attendais à cet appel ?
P2 : C’est une façon de reformuler, mais en effet, c’est bien ma question.
P1 : Tout simplement pour savoir qui m’appelait et ce que cette personne avait à dire.
P2 : (Incrédule) Ah !!!
P1 : (Comme une évidence) Ah !!!
P2 : Vous êtes donc du genre à répondre à un appel que vous n’attendiez pas, alors, que lorsque vous savez qu’on doit vous appeler vous ne répondez pas.
P1 : (Pensif) J’en ai bien l’impression.
P2 : C’est étrange comme comportement, non ?
P1 : Je le conçois.
P2 : Surtout si vous n’avez ni demandé qui il ou elle était, ni ce qu’il ou elle avait à vous dire !
P1 : (Après un temps. Eureka, se levant d’un bon) Je me souviens maintenant. Oui ! C’était un homme. Enfin, du moins la voix était celle d’un homme.
P2 : Ah ! On avance... on avance.
(Silence. P1 se rassoit. P1 et P2 reprennent leur position initiale, immobile, en regardant droit devant eux).
(Le téléphone sonne à nouveau).
(P1 et P2 sortent leur téléphone de leur veste. Comprenant une nouvelle fois qu’il ne s’agit pas de la sonnerie de leur téléphone ils le rengainent aussitôt. P1 et P2 regardent le téléphone posé sur la table puis se regardent. Après un temps P1 fait signe de la tête à P2 de décrocher. P2 hausse les épaules en signe d’incompréhension).
P2 : Je crois que c’est pour vous.
P1 : Comment le savez-vous ?
P2 : Je n’attends toujours pas d’appel. Pas plus que tout à l’heure...